mercredi 20 juin 2012

Quand la Chine souffrira

Le Point.fr - Publié le 06/06/2012 à 12:31 - Modifié le 07/06/2012 à 11:41 

Résistance à la crise financière, croissance impressionnante, la Chine paraît inébranlable. Mais ses faiblesses pourraient bien la rattraper. C'est en tout cas la thèse de Jean-Luc Buchalet et de Pierre Sabatier, coauteurs du livre La Chine, une bombe à retardement*. Jean-Luc Buchalet, ingénieur agronome de formation et cofondateur du cabinet de recherche économique et financière PrimeView, explique au Point.fr pourquoi la croissance chinoise n'est pas saine.

Le Point.fr : Vous défendez l'idée que le modèle de croissance chinois est à bout de souffle. Pourquoi ?

Jean-Luc Buchalet : Il faut d'abord le souligner, depuis 30 ans, la réussite économique chinoise est exceptionnelle. Dans l'histoire économique, on n'a pas eu d'exemple de croissance aussi soutenue pendant aussi longtemps. Elle a été en moyenne légèrement supérieure à 10 %, et même encore plus élevée depuis 2001 avec l'entrée dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Il y a d'abord eu une phase de rattrapage après la Révolution culturelle, comme en France et en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, pilotée par un système dirigiste de planification. La seconde phase commence à la fin des années 90, et plus encore à partir de 2001 avec une explosion de l'investissement. Contre les idées reçues, la consommation des ménages n'a pas du tout participé à cette croissance phénoménale. C'est la période où les entreprises étrangères délocalisent, investissent en Chine, pratiquent des transferts de technologie, tout cela pour réexporter leur production vers le reste du monde. La part de la Chine dans le commerce mondial passe alors de 3 à 4 % à plus de 11 % aujourd'hui, une hausse inédite dans l'histoire.
Elle devient alors l'atelier du monde, en grande partie grâce à l'ancrage du yuan sur le dollar, des salaires maintenus bas et des investissements gargantuesques dans les infrastructures.

Alors qu'est-ce qui vous fait craindre une explosion de ce modèle qui est une réussite ?

En 2009, la croissance s'est effondrée partout dans le monde sous l'effet de la crise financière, à l'exception de la Chine. Comment un pays tourné vers l'extérieur dont la production équivaut à un quart de la production mondiale a-t-il pu aussi bien résister, alors que le Japon a perdu 8 points de PIB et l'Allemagne entre 6 et 7 points de PIB entre le point haut et le point bas de la crise ? C'est qu'après une récession de deux trimestres qui a engendré fermetures d'usine et troubles sociaux, le gouvernement s'est lancé dans une frénésie de construction d'infrastructures : il a pratiqué une politique de relance keynésienne colossale. Pour cela, le pouvoir a utilisé son bras de levier favori, les banques, qui ont alors prêté à tout-va et dans des proportions incroyables : entre 2007 et 2010, le crédit a augmenté de 70 % ! Ce déversement a atteint quasiment 30 % du PIB en 2009 ! En perdant la main sur sa politique monétaire, la Chine est devenue un pays en surchauffe qui connaît désormais des problèmes d'inflation. Résultat, les taux d'intérêt chinois sont anormalement bas, ce qui encourage des investissements peu ou pas rentables : tout le monde s'est mis à investir et à emprunter sans compter, puisque le coût de l'argent est en réalité négatif, compte tenu de l'inflation.

Cela génère des bulles...

Oui. La principale et la plus grave étant celle de l'immobilier. Les prix s'envolent. La Chine est devenue une grande Espagne. L'Espagne a construit des routes, des ponts, des aéroports vides grâce à des taux d'intérêt artificiellement bas et à des subventions européennes. Elle a laissé se développer une bulle immobilière. En Chine, le poids de l'immobilier dépasse 15 % du PIB contre 13 % du PIB espagnol au plus haut de la bulle. Ajoutez à cela un système féodal corrompu et vous obtenez la plus mauvaise allocation de l'épargne de l'histoire. En 2011, le système bancaire parallèle, qui s'est développé pour financer les entreprises privées auxquelles les banques ne veulent plus prêter parce qu'elles préfèrent financer les entreprises publiques, a représenté 45 % du financement de l'économie privée ! Les autorités ont pris conscience de la surchauffe en cours et ont essayé de la contrôler, mais en refusant d'utiliser les moyens traditionnels de la politique monétaire qui militait pour une réévaluation de la monnaie. Par crainte de faire éclater cette bulle, elles n'ont finalement remonté que marginalement les taux d'intérêt et se sont contentées d'encadrer administrativement le crédit et d'augmenter les réserves obligatoires des banques. En parallèle, l'inflation galopante des produits alimentaires et de l'énergie, qui représentent 40 % du panier de la ménagère chinoise, lamine désormais le pouvoir d'achat des ménages. Au final, le paysan chinois ayant migré vers les provinces côtières dans l'espoir de s'enrichir éprouve de plus en plus de difficultés à se loger et à envoyer de l'argent dans sa famille, ce qui génère des tensions sociales croissantes. Conscient du problème, le gouvernement estime qu'il faut réorienter la croissance vers l'intérieur. Mais la tâche sera ardue. Au cours des trois dernières années, le poids de la consommation des ménages dans le PIB n'a pas arrêté de baisser. Les Chinois n'ont en effet pas les moyens de consommer plus, pénalisés par un partage de la richesse qui leur est très défavorable : la masse salariale ne représente que 47 % du PIB en Chine contre 65 à 70 % dans les pays occidentaux.

Le discours des autorités selon lequel elles vont rééquilibrer le modèle de croissance au profit de la consommation intérieure est donc vain ? 

  En réaction à la propagation des révolutions arabes, les autorités ont lâché du lest en autorisant une augmentation substantielle des salaires, pénalisant des pans entiers de l'industrie fragilisée. Face à un écrasement de leur marge, de nombreuses entreprises privées éprouvent les pires difficultés à se financer, du fait d'un système bancaire traditionnel peu enclin à leur prêter... Conséquence, le ralentissement de la production industrielle est en train de s'accélérer.
Pour réorienter le modèle de croissance vers la consommation intérieure, il faudrait que les ménages acceptent de dépenser plus en puisant dans leur épargne de précaution - extrêmement élevée à cause de l'absence de système de retraite, de sécurité sociale, d'une école qui n'est plus totalement gratuite. Pour cela, il faudra que le gouvernement mette en place un système de protection sociale digne de ce nom. En retour, cela fragilisera les entreprises qui auront du mal à faire face à cette hausse des coûts, risquant de casser le modèle économique chinois. Le discours selon lequel le gouvernement chinois souhaite réorienter la croissance vers l'intérieur est donc un discours essentiellement à destination des Occidentaux, car il a bien conscience des difficultés qu'il rencontrera pour rééquilibrer son économie sans accident de grande ampleur.

Selon vous, le modèle chinois est d'autant moins durable qu'il est trop énergivore et dégrade l'environnement...

Oui. La consommation de matière par unité de richesse créée est de 8 kilos en Chine contre 3 kilos en Asie, 0,7 kg aux États-Unis et 0,3 en France. Un tel niveau de gâchis est inquiétant et démontre l'obsolescence du modèle de croissance chinois. Il en va de même pour l'énergie, la Chine en consommant cinq fois plus que l'Europe pour la même richesse créée, cela étant la conséquence de prix maintenus artificiellement bas par les autorités, de peur que leur hausse ne génère des révoltes de la population.
Même histoire dans l'agriculture : les Chinois consomment six fois plus d'engrais par hectare que les Américains et abusent des produits phytosanitaires, rendant la nourriture chinoise souvent impropre à la consommation. En réaction, les ménages chinois sont de plus en plus nombreux à s'approvisionner en produits en provenance de l'étranger, contribuant au dérapage de l'inflation des prix alimentaires.
Enfin, le gouvernement butera sur des contraintes énergétiques fortes dans sa volonté de réorienter la croissance sur la consommation intérieure : en envisageant un parc automobile de 200 véhicules pour 1 000 habitants en Chine (contre 60 aujourd'hui et 600 en Europe), le pays consommerait alors la totalité de l'excédent de pétrole de toute la planète..., ce qui ne manquera pas de créer des tensions géopolitiques importantes avec les pays occidentaux.

Quand voyez-vous l'économie chinoise ralentir fortement ?

Les indicateurs économiques démontrent que le ralentissement est déjà à l'oeuvre en ce début d'année. Toutefois, dans un système sans contre-pouvoir ni transparence, la perception de ce phénomène mettra certainement du temps. Dans le marasme ambiant occidental, les investisseurs ont reporté leurs espoirs sur la formidable croissance des pays émergents, prenant le relais de nos vieux pays. La prise de conscience des difficultés à venir pour la Chine n'en sera que plus brutale.

*La Chine, une bombe à retardement, Eyrolles, 16 euros.

Propos recueillis par Marc Vignaud

http://www.lepoint.fr/economie/quand-la-chine-s-effondrera-06-06-2012-1470082_28.php?xtor=EPR-6-[Newsletter-Quotidienne]-20120606

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